À l'est des rêves
Réponses even aux crises systémiques
De Nastassja Martin
Empêcheurs de penser en rond
Il y a eu ce magnifique titre, "Croire aux fauves", paru chez Verticales. C’est sur ce même terrain du Kamtchatka, péninsule de l’est de la Russie, que s’élabore "A l’Est des rêves" – et l’on retrouve avec bonheur certaines des silhouettes et des scènes du récit précédent ; paroles, rêves, feu. Comment vivre après l’effondrement ? Alternant ici entre récit et analyse, Nastassja Martin s’attache à saisir les implications du choix opéré par Daria et sa famille, à la chute de l’URSS, qui a consisté à repartir vivre en forêt. Au-delà des modes de subsistance engagés – chasse, pêche, cueillette –, il s’agit de retrouver le chemin fragile vers les « êtres et entités de la forêt qui comptent, en réactivant les possibles de relation ayant été suspendus par le processus colonial » - et à ce titre, les rêves jouent un rôle pivot. Quelques décennies ont suffi pour abolir quantité de savoirs, ou les figer en pratiques folkloriques. Les parages sont méthodiquement vidés de toute vie. Le dernier chamane se tait. Pourtant, la tentative tenace de Daria et de sa famille dessine un possible. Et Nastassja Martin de citer Bruno Latour : « Et si le naturalisme n'était qu'une parenthèse de l'histoire? Une parenthèse exotique au sein de laquelle nous aurions réduit les entités et leurs relations à des "points séparés les uns des autres" s'ordonnant dans et par les lois universelles de la nature, mais qui n'aurait pu être opérante que très peu de temps. C'est à ceux qui nous ont précédés, qui ont été écrasés par les politiques coloniales sous-tendues par ce corpus d'images et d'idées, et qui refont surface aujourd'hui grâce à l'instabilité écosystémique que ce livre est consacré ». Vivifiant.
« Nous sommes les héritières d’une détermination farouche, nous les descendantes des avortements ratés, des grossesses imposées. Celle-ci est indémêlable de nos douleurs et de nos rages, transmises d’une génération à l’autre comme on essore un torchon plein de sang, dans l’anonymat d’une cuisine plongée dans la nuit. »
Juliette Rousseau est journaliste, autrice et éditrice aux Éditions du commun. Militante de terrain, elle a coordonné de multiples événements politiques internationaux et s’est attachée à questionner les pratiques d’organisation collective dans l’ouvrage Lutter ensemble (éd. Cambourakis, 2018).
Dans ce récit adressé à la sœur disparue, elle entrelace mémoire intime et analyse politique - ou plutôt replace l'histoire familiale dans l'ordre social qui l'a produite. Héritages familiaux, rapports de genre, parentalité, ruralité... Sa langue précise et sensible embrasse nombre d'interrogations inspirantes que l'on a hâte d'arpenter avec vous !
Vous ouvrez "Zizi cabane", et d'un coup tout est possible : une mère qui disparait du jour au lendemain, une source qui jaillit dans une maison, un grand-père tombé du ciel. Au milieu de ces événements, il y a Zizi et ses grands frères, Béguin et Chiffon, qui composent comme ils peuvent avec l'absence de leur mère, la déroute de leur père et la maison qui fuit. Fichtre. On dirait bien que tout part à vau-l'eau, si ce n'était la force de ces trois gosses, leur aptitude à la joie et au mystère. Bérengère Cournut zigzague quelque part entre Ponti et Murakami, fait parler l'invisible qui veille les vivants, et enveloppe de tendresse ses personnages en devenir. Un livre-cabane, où il fait bon se réfugier par gros temps.
Quand tu t'en vas
Marin Agathe
Que se passe-t-il sur l'île quand les touristes reprennent le bateau pour le continent ? Une fois le manège rangé, les volets fermés, comment s'écoulent les heures ?
Un récit subtil à hauteur d'enfant, qui sinue dans les odeurs d'automne, trotte vers les falaises aux pouces-pieds, escalade les murets.
L'envers du monde des estivant.e.s, entre grandes aventures et mélancolie des maisons vides, pour rappeler la complexité d'un lieu et de ses habitant.e.s.
Court texte, grand texte, plein de mystère et de sacré. C'est une sorte de précipité de Graciano, un condensé de son art. En un temps et un lieu incertains, au milieu du désert, deux hommes se rencontrent. L'un, le gyrovague, celui qui livre le récit, tient serré contre lui un secret. L'autre voyageur, petit homme, a l'adresse et la puissance du mage. Il sait les secrets des sources et du soleil, il sait les psalmodies et les soins. Au milieu de leurs silhouettes, convoqué par le petit homme, le cosmos s'organise.
Il est rare qu'un livre lave le chagrin. Le Soufi a cette magie-là.